Mistral

Publié le par Babouyou


        Arrivés à cette époque de l'année se sont enchainées les vacances de la Toussaints et un stage de deux semaines dans un école de mon village. Pendant tout ce temps, j'ai pu voir les 4 chevaux tous les jours, les nourrir matin et soir, et complémenter ceux qui en avaient besoin.


        Christobal est passé presque tous les soirs, pour remplir d'eau, à l'aide de son camion à béton, la grosse « baïsse » qu'il a ramenée. Il a aussi pris l'initiative de bricoler des palissades pour que les chevaux se mettent à l'abri du Mistral.  Ici l'air est sec et les températures sont relativement douces en hiver, mais le Mistral est tres violent, surtout en plaine, et il rend le froid mordant . En plus le conseil régional s'est mis dans la tête de débroussailler et déboiser toute la bordure de la route d'Aiguille afin de lutter contre les incendies... les chevaux sont depuis encore plus exposés au Mistral et à la vue des automobilistes (et donc des voleurs potentiels)... Moi qui avais laissé expres une marge...


        Un soir particulièrement venteux, sortie tard de l'école, extenuée, la tête bourdonnant encore des bruits de l'école et du vent, j'arrive, pensive, peu avant la tombée de la nuit. Je passe devant le portail blanc et l'envie me prend de me garer là, à l'entrée du chemin. C'est là que je me gare quand mon « parking » habituel -un autre renfoncement du même côté du chemin mais un peu plus loin, au niveau de la paillotte- est occupé. Là ,ma place habituelle est libre, et ici je serai plus loin du foin... apres un instant d'hésitation je soupire et me gare à l'entrée du chemin... J'ai arrêté de me poser des questions dans des cas comme celui là.  envie:1 - logique:0 ....


        Les demi tonneaux qui servent de mangeoires aux chevaux se sont envolées, les peupliers longeant le chemin se balancent dans le vent. il fait froid. Je déteste le mistral.... il me colle la migraine. Les chevaux ont déjà mangé on dirait... Je reste un peu pour papouiller Pablo... Besoin d'un peu de douceur et de calme , de réchauffer un peu mes mains à la chaleur de son poil. Ce vent, c'est vraiment un truc de fous! Il t'envoie de la terre dans la figure à 90 km/h, on voit les rubans se courber entre chaque piquet, pourtant on aurait pu difficilement plus les tendre! Les peupliers balancent drôlement.... il y en a même un qui grince ... heureusement que j'ai rajouté des piquets en platique entre les piquets en bois parce que même comme ça , la clôture penche un peu.... Il fait vraiment froid....


        Il fait presque nuit.... j'ai rien à faire et je me les caille. Mais j'arrive pas à partir. Je sais pas pourquoi.... Le grand peuplier à moitié déplumé là, c'est lui qui grince.... bon sang .... les rafales sont vraiment violentes .... je me demande combien de temps il va tenir.... Il grince de plus en plus souvent .... il va peut etre tomber ce soir si ça continue...


        Puis un craquement, clair, solitaire, sinistre: tellement puissant qu'il semble sonner dans le sol même. Oh merde il va vraiment tomber le con! Passant de mes rêveries à une panique soudaine, je cours virer les chevaux, les emmener le plus loin possibe. Eux aussi ont compris qu'il se passait quelquechose et me voir soudain m'exciter n'a pas l'air de les rassurer. Ils s'éloignent avec quelques coups de cul nerveux tandis que d'autres craquements résonnent derrière nous. Ce putain d'arbre est immense! J'espère que ça suffira!


        Une nouvelle raffale multiplie les craquements .... l'immense arbre se met à pencher douchement , non plus sous l'effet du vent mais sous celui de son propre poids... Par bonheur il semble tomber dans le sens du chemin, et non vers nous. La chute s'accélère, une gerbe d'étincelles jaillit dans l'obscurité, accompagnée d'un bruit d'enfer. Les chevaux s'écartent un peu plus puis font face, tous les muscles en tension. Les petites branches fendant l'air comme un fouet, les plus grosses se brisant au sol dans un immense fracas et enfin le tronc faisant lourdement vibrer le sol... Tout ça se grave au ralenti dans ma mémoire et pourtant, se sera succédé à vitesse telle que mon pauvre cerveau engourdi a du mal à suivre sur le coup. J'ai cru que les branches avaient emportée ma clôture ( mais elle pense qu'à ça bon sang!), mais si les rubans on en effet été fort distendu ils ont tenu le coup, et les piquets n'ont pas bougé. La gerbe d'étincelles , ce n'était pas la clôture non plus (ça devient obscessionnel!) mais le frottement du tronc de l'arbre contre celui de son voisin ... ou comment faire du feu avec deux bouts de bois de 6 tonnes chacun !


        Quelques grosses branches en tombant ont formé de véritables cratères au sol, par la violence de l'impact. Le grillage s'est vulgairement fait envoyer en l'air d'un côté et écrabouillé de l'autre .

Le tronc et les plus grosses branches se sont écrasés.... sur ma place de parking habituelle...

Et par un heureux « hasard » aucune voiture n'y était garée.


        J'ai retendu rapidement mes rubans, et ai surveillé deux minutes les autres peupliers mais aucun autre n'avait l'air décidé à tomber ce soir. Encore un peu choquée à l'idée que j'aurais pu avoir garé ma voiture ailleurs, et que j'aurais bien été assez bête pour essayer de la déplacer au premier craquement de l'arbre, je rentre à la maison.

        Le lendemain, le cousin (Christobal) et le locataire (Juanito) du propriétaire du terrain se battaient pour savoir qui allait réccupérer le bois.... Cet arbre aurait pu me tomber sur la tête, je l'ai vu mourir dans une gerbe de feu, et heureusement que j'étais là pour retendre les fils, et eux ils se le disputent comme deux vautours une carcasse...

        On ne vit vraiment pas dans le même monde.

 

 

 

 

 


Publié dans Chapitre XIII : Escape

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